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Le konpa Show

     Malheureusement, je n’ai pas connu Ricot Jean-Baptiste.  Tout ce que je sais, c’est qu’il est vénéré et considéré par toute une génération comme celui qui aura inventé ou peut-être introduit dans la radiodiffusion Haïtienne cette forme moderne d’animation faite de rigolade, de bonne humeur, de jeux question-réponse et d’infos sur la vie des stars. Jusqu'à aujourd’hui la vie de ce grand pionnier a été très peu explorée. Le groupe Zèklè au début des années 80, sur un texte de Ralph Boncy, à réalisé avec succès un chef-d’œuvre musical mettant en relief sa voix, ses récréations et même l’une des nombreuses phrases fétiches qu’il a si souvent répétées à l’antenne de Radio Haïti. Cette œuvre d’art de grande portée historique, tout feu tout flamme, reprend l’un des thèmes de son émission konpa qui faisait bouger tout Port-au-Prince : «Tambour battant».

     Spéculations et mystères jettent un voile épais sur ses influences et les circonstances qui l’ont porté à vouloir exceller dans ce domaine qu’il a divinement maîtrisé ; au point de faire école. Il a malheureusement choisi le suicide comme porte de sortie dans cet aléa qu’on nomme l’existence. Cette tragédie a, de plus, grandement contribué au respect et à l’adulation du personnage mythique qu’il est devenu. La dimension exceptionnelle de son talent dans le domaine de  la radiophonie et sa disparition brutale. Lui ont permis de conserver avec noblesse sa fonction d’idole dans le cœur de cette multitude qui l’a porté en triomphe.

     Sur les cendres encore chaudes de l’héritage du légendaire Ricot Jean-Baptiste est apparu pompeusement, Félix Lamy. Là, nous sommes au début des années 80. Bénéficiant de la couverture nationale de la chaine radiophonique gouvernementale d’alors, la 4VRD, Félix Lamy s’est brillamment façonné une image de farouche défenseur du konpa, s’élevant contre toute influence externe du moment susceptible de le rendre vulnérable. Son  rêve était d’utiliser sa popularité grandissante, en tant qu’animateur jouissant de la bénédiction du pouvoir en place, pour inciter les jeunes musiciens de la génération des années 80 à consolider le rythme créé au tournant des années 50 par Nemours Jean-Baptiste et ses collaborateurs. L’émergence soudaine de nouvelles données politiques à la faveur des événements du 7 février 1986 a failli court-circuiter sa démarche en pleine gestation. 

     Bien vite, il s’est réfugié dans le secteur privé. En effet, s’alliant à d’autres investisseurs, il a mis en chantier Radio Galaxie. Le timing et d’autres circonstances jouant en sa faveur, Félix Lamy s’est à nouveau taillé une place de choix dans le domaine de l’animation radiophonique. Le konpa a repris du poil de la bête. Le voilà Confirmé sur son trône de favori. Non sans ironie, bien sûr, Félix Lamy, l’héroïque propagateur et le passionné de la pérennité du konpa est aujourd’hui absent. 

     Les circonstances de son enlèvement, encore noyées dans la plus troublante obscurité, n’ont jusque-là inspiré aucune pièce musicale qui l’élèverait, au même rang que son prédécesseur Ricot Jean-Baptiste. 

     Fions-nous au temps qui, en jouant son rôle d’arbitre impartial, finit toujours par dissocier l’homme de son œuvre pour sauvegarder les vrais héritages. Aucune passion passagère ne peut reléguer dans l’oubli une œuvre qui fait tache d’huile.

     Justement, l’idée première de ce projet est de permettre à l’observateur averti de relever deux nuances entrecroisées et religieusement pratiquées par les meilleurs animateurs de musiques dansantes, y compris votre serviteur. Mieux encore, ce projet dirigera l’attention qu’il faut sur la somme d’évidences palpables relevant de l’immortalité de Ricot Jean-Baptiste et de Félix Lamy à travers leurs œuvres. Le destin sera loué d’avoir permis à ces deux génies de gagner enfin leur place dans notre patrimoine culturel. Voici comment les deux créateurs ont infiltré naturellement notre inconscient  pour y  déposer tour à tour ces deux caractéristiques qui constituent la base même de cette école d’animation musicale remarquable.

     La première qui émane de Ricot Jean-Baptiste est par essence, une improvisation hautement créative alliée à une vitesse d’exécution formidable sur un thème relatif au musicien ou son œuvre et dans certain cas, les deux à la fois. Puis la livraison d’un commentaire ponctuel ou anodin avec un enthousiasme contagieux sur la musique qui tourne sur la platine, ce, pour le plus grand plaisir des oreilles. Cette démarche simple en apparence, est des plus périlleuses : peu d’animateurs l’exécutent avec bonheur. Sur ce point, Félix Lamy lui-même peut se glorifier d’être le successeur incontestable de Ricot Jean-Baptiste. 

     Le deuxième trait est né  de la fougue de Félix Lamy. Il consiste à émettre des jugements de valeur sur les productions des groupes musicaux. Cela est intimement lié à son Trade-mark de défenseur du konpa. Une telle entreprise n’est pas sans risque, dans la mesure où il expose l’animateur à la hargne des musiciens et des fans. En effet, certains, y compris des musiciens vedettes de formations musicales de grande influence de l’époque, ont, plus d’une fois, reproché à Félix Lamy de confondre parti-pris et défense du konpa. 

     Que cette attitude soit controversée ou pas, il est difficile présentement de trouver un animateur qui ne pratique pas consciemment ou inconsciemment dans le feu de l’animation cette approche imposée par l’irréductible Félix Lamy.

     Aujourd’hui, plus que jamais, il est grand temps de prouver au monde entier que Ricot Jean-Baptiste et Félix Lamy brillent encore sur les ondes Haïtiennes en dépit de leur absence. Le destin acquiesce à leur exploit, à travers tous ceux qui comme moi rejettent purement et simplement l’imitation servile; au profit d’une technique apprivoisée qui favorise la création continue.  Alors détendez-vous, et bonne écoute ! 

                                Ici Roselin Jean.

Roselin Jean

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